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Ce 7 février 2019, des experts de toutes disciplines, se sont regroupés en un panel international (IPES-Food). Leur objectif : proposer des systèmes alimentaires durables pour l’Union européenne. À l’issue de leurs échanges, ils alertent sur l’urgence de pratiquer une politique alimentaire axée sur la qualité des aliments et sur le respect de l’environnement.

Comment leur appel peut-il se concrétiser dans une Région comme Bruxelles ? Comment une ville telle que la nôtre peut-elle traduire en actes ces recommandations criantes, en milieu urbain?
En Région bruxelloise, l’alimentation représente un quart de l’empreinte écologique des habitants, facteur plus important donc que celui de la mobilité (15%) et du logement (16%)[1]. Deux raisons expliquent principalement cette situation délétère : le gaspillage alimentaire (un tiers de l’alimentation produite est jetée sans avoir été consommée) et la consommation de produits alimentaires usinés, issus de circuits coûteux en énergie, notamment en transports.

Pour aller vers un système d’alimentation durable -comme nous le recommandent, avec force, des voix de plus en plus nombreuses-, il nous faut envisager des politiques ambitieuses et nous attaquer à plusieurs fronts. Il en va de notre santé à tous et de celle de la planète.

À Bruxelles, il est possible de diminuer l’empreinte écologique, d’apporter de la biodiversité, d’améliorer la santé des habitants, de créer de l’emploi et du lien… en pratiquant une politique plus volontariste en matière d’agriculture urbaine. Comment ? Voici trois perspectives à mettre en œuvre. Elles ne relèvent pas de l’utopie. Elles sont réalistes et réalisables ; et ambitieuses.

Etendre les espaces de production en Région Bruxelloise

Actuellement, la Région compte 392 potagers citoyens répartis sur l’ensemble des communes bruxelloises couvrant un total de 79 hectares. Autant de démarches citoyennes remarquables qui créent du lien et rapprochent les gens. La production n’est donc pas leur premier objectif.  Dans cette note, je me concentrerai donc sur le potentiel de la production agricole « professionnelle », c’est-à-dire des projets dont l’objectif est la production d’aliments, ce qui n’empêche pas les interactions avec la population ; bien au contraire.

Ces projets agricoles se déploient aujourd’hui sur 252 ha du territoire bruxellois.
La grande majorité de ces terres sont actuellement cultivées de manière conventionnelle et ne nourrissent pas la ville. Il s’agit essentiellement de grandes cultures (céréales, maïs fourrager, betteraves fourragères…) et de pâturage pour l’élevage (près de la moitié des terres agricoles sont des prairies permanentes – 120 ha)[2]
Les surfaces agricoles actuelles nourrissent donc très peu Bruxelles, en fruits et légumes. Heureusement, de nouveaux agriculteurs, généralement non-issus du monde agricole, appelés des « NIMAculteurs », veulent inverser la tendance et portent déjà une trentaine de projets productifs.

Pour fournir Bruxelles en fruits et légumes, trois mesures évidentes se dégagent.

  • Orienter les 252 ha vers une production alimentaire ancrée dans des circuits-courts ;
  • Déployer le potentiel identifié par l’asbl Terre-en-vue : 490 ha ;
  • Exploiter les toitures plates existantes : 60 ha ; et ainsi que les caves (pour produire notamment des chicons et des champignons)

Tout ceci permettrait déjà d’alimenter en produits de saison quelques 275.000 Bruxellois.e.s, soit 23% de la population de la Région bruxelloise.

Cette dynamique entraîne de nouveaux réflexes. Pour chaque nouveau projet urbanistique, pour chaque rénovation, pour chaque création d’espace public, il s’agit de penser au potentiel agricole. L’intégration de l’agriculture dans la ville doit devenir un des axes pris en compte dans toutes les initiatives urbaines. Et on ne part pas de rien. Des expérimentations ont déjà fait leurs preuves. Elles tracent la voie à suivre. Les « NIMAculteurs », ces « nouveaux » agriculteurs des villes proposent des techniques originales, efficaces sur de petites parcelles[3], respectueuses de l’environnement et créatrices de liens entre habitants[4].

Leurs méthodes sont également créatrices d’emploi : le Laboratoire d’Agroécologie de l’ULB estime qu’elles génèrent environ 3 emplois par hectare. Déployer 800 ha de terres agricoles et potagères avec ces techniques de petites parcelles, en Région bruxelloise, pourrait potentiellement créer quelques 2.400 emplois!

Un acte fort pour lancer la dynamique : le potager royal

Pour marquer le tournant vers un production locale, nous pourrions créer la plus grande ferme urbaine européenne.  Pour ce faire, un lieu idéal : le parc du Palais royal de Laeken.

Sur les 186 ha du parc, nous proposons d’en dédier 100 à l’agriculture urbaine.  Cette ferme serait l’occasion de nourrir quelques 34.000 personnes, de créer un centre de formation et d’apprentissage pour les maraîchers; un lieu de participation pour les élèves et les adultes afin de reconnecter les Bruxellois.e.s à la nature et à l’alimentation de qualité. Ce développement générerait 300 emplois.

 

Créer une ceinture alimentaire en périphérie de Bruxelles.

Pour nourrir localement Bruxelles en fruits et légumes, le territoire de la Région n’est pas suffisant. Une synergie avec la périphérie de Bruxelles et ses agriculteurs doit être développée.

En effet, pour produire les 102 milles tonnes de fruits et légumes répondant à la demande bruxelloise, 2.500 ha de la périphérie devraient être tournés vers Bruxelles pour compléter le potentiel intra-bruxellois présenté ci-dessus (900 ha).

Aujourd’hui la surface agricole totale des Brabant flamand et wallon représente 149.000 ha[5].  La vaste majorité des agriculteurs de la périphérie de Bruxelles cultive dans le cadre de la PAC (Politique agricole commune) qui apporte un soutien financier à l’hectare peu importe ce qui y est produit et quelle que soit la destination de la culture :  les produits transitent dans des marchés commerciaux « classiques » sans réflexion sur la proximité avec un bassin de consommateurs, souvent prêts à encourager les achats issus des circuits courts bruxellois. Outre le cadre de la PAC, la communication est aujourd’hui parfois difficile entre les agriculteurs dits « traditionnels » et ces « NIMAculteurs » issus d’une vision agricole plus urbaine. La dialogue s’établit peu à peu cependant…

Tourner ces terres vers le marché alimentaire bruxellois dans une dynamique respectueuse de l’environnement et avec des techniques de maraîchage de petite surface, bénéficierait aux deux Régions : diminution des pesticides et donc protection de la biodiversité et de la santé des habitants, création d’emplois, développement d’une économie locale.

Transformer les techniques des agriculteurs traditionnels ou organiser une cession des baux à ferme ne se fera pas facilement.  Une transformation de la politique européenne de la PAC serait le levier idéal.  Mais sans attendre cela, des contacts entre les Régions bruxelloise et flamande doivent être pris pour trouver des pistes pour réaliser cette conversion.


[1] Ecolife asbl & IBGE, « L’empreinte écologique des habitants de la Région de Bruxelles-Capitale – rapport synthétique », 2004

[2] Stratégie Good Food, « Vers un système alimentaire durable en Région de Bruxelles-Capitale », 2015

[3]Le projet SPINCOOP étudie le rendement de Cycle farm qui cultive sur des planches de 80 cm de large et 7 m de long. Et transporte ses outils à vélo !

[4]Exemples de projets bruxellois qui allient production et lien social : fruit Time, La ferme du champ de caille

[5] STATBEL, 2017