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Les média ont beaucoup évoqué les « Territoires Zéro Chômeur de Longue Durée » (TZCLD) ces dernières semaines. J’ai aussi amené ce matin le sujet en commission affaires économiques et emploi.Beaucoup a été dit, et pour moi les TZCLD sont intéressants principalement car

✅ C’est partir des compétences des personnes sans emploi au lieu de les faire rentrer dans des cases;

✅ C’est une démarche collective: les acteurs du territoire se mettent ensemble pour définir les services et produits qui sont utiles et nécessaire;

✅ C’est préparer le territoire aux prochaines crises;

✅ C’est rationnel budgétairement;

✅ C’est offrir des perspectives à un public trop souvent oublié.

=> Retrouver l’ensemble du débat sur le sujet en commission à partir de 1h18’18 » : https://youtu.be/-rlAPKzFFso?t=4698

Et du coup c’est avec joie que je lis aujourd’hui dans le projet d’accord de gouvernement fédéral que « Le gouvernement tiendra des consultations structurelles avec les entités fédérées afin d’élaborer, dans un esprit de fédéralisme coopératif, les mesures nécessaires pour accompagner et soutenir les politiques du marché du travail des entités fédérées. Il examinera également comment des mesures sous-régionales ou des politiques locales peuvent être mises en œuvre, dans le respect des compétences de chacun, par exemple en ce qui concerne la fiscalité des heures supplémentaires ou l’introduction de « territoires zéro chômeur de longue durée. »


« Il faut rester humble car personne ne possède de solution magique. Mais c’est un rêve réaliste. »

Laurent Grandguillaume


Le texte complet de mon intervention écrite (à l’oral j’ai paraphrasé)

Interpellation de Barbara de Radiguès, Député ECOLO à Bernard Clerfayt ministre de l’emploi

CONCERNE: Implémentation d’une expérimentation bruxelloise des « Territoires Zéro Chômeur de Longue Durée »


Monsieur le Ministre,

Il est un sujet dont nous n’avons pas encore eu l’occasion de discuter dans cette commission (l’interpellation de Mme Farida Tahar de mars 2020 ayant été transformée en question écrite lors du confinement 1 ) et dont il est selon moi urgent de discuter dans le contexte post-coronavirus. Il s’agit du dispositif « Territoire Zéro Chômeur de Longue Durée » (TZCLD). Les TZCLD ont l’ambition d’éliminer le chômage de longue durée, sur un micro-territoire donné, en se basant sur les aspirations et les compétences des personnes qui le subissent, en créant des emplois manquants à l’échelle locale et en assurant de bonnes conditions de travail. Le dispositif renverse l’approche habituelle de l’accompagnement vers la remise à l’emploi pour partir des envies et des talents des personnes sans emploi, leur redonner confiance et les responsabiliser tout en créant du lien au niveau local. Les TZCLD donnent corps au « droit au travail » (reconnu dans l’article 23 de la constitution belge), dans une dynamique émancipatrice, et via des méthodes participatives inclusives, et ancrées dans les localités, les quartiers.

Le principe des TZCLD est relativement simple. Le financement dévolu aux chômeur.euse.s de longue durée est attribué à la création d’entreprises à but d’emploi (EBE) qui peuvent alors financer des contrats d’embauche (en CDI et au salaire minimum) pour les chômeur.euse.s volontaires. Les emplois salariés créés sont affectés à des projets utiles aux habitants du territoire. Ainsi, les pouvoirs publics proposent aux chômeur.euse.s des contrats salariés tout en répondant à des besoins non couverts sur un territoire donné, en partant des compétences et aspirations des personnes et ce, sans coût supplémentaire. Pour ne pas risquer de concurrencer des emplois et activités déjà existantes sur le territoire, un comité de pilotage rassemblant les acteurs locaux (pouvoirs publics, interlocuteurs sociaux, entreprises, associations, etc.) identifient les besoins non couverts sur le territoire pour les croiser ensuite avec les aspirations des personnes sans emploi.

La France avance…

En France, où le dispositif a vu le jour, le projet avance et fait des émules. Les premiers TZCLD ont été développés en 2017 dans 10 localités françaises. Aujourd’hui, trois ans plus tard, l’assemblée générale française est en passe de se pencher sur une proposition de loi qui vise l’extension de la loi d’expérimentation qui autorisait le déploiement des Territoires Zéro Chômeur de Longue Durée 2 . La proposition sur la table étend l’expérimentation à une trentaine de nouveaux territoires et la prolonge de cinq ans. Cette proposition est une marque de reconnaissance pour le dispositif et son utilité dans la lutte contre le chômage de longue duréeEn France, depuis le début de l’expérimentation, 1.112 personnes, dont un cinquième est reconnu en situation de handicap, sont sorties de situations prolongées de non-emploi (cinquante-quatre mois sans emploi en moyenne).

Mise en oeuvre Bruxelloise: les balises sont placées!

La déclaration de politique régionale prévoit la mise en oeuvre d’au moins un projet pilote inspiré du modèle TZCLD et adapté à la réalité urbaine bruxelloise. Dans vos réponses à l’interpellation de Mme Tahar, vous confirmiez que les réflexions autour de la création de projets TZCLD à Bruxelles avaient bien débuté, et les premières étapes prospectives, préalables au lancement d’une expérimentation TZCLD bruxelloise ont été menées cette année.

L’étude des différentes options juridiques pour importer le modèle français en Région bruxelloise a été finalisée en février. Elle conclut positivement sur les possibilités juridiques de mise en œuvre d’une expérimentation pilote TZCLD à Bruxelles.

Dans vos réponses à Mme Tahar, vous annonciez également qu’une étude budgétaire était en cours. L’étude en question devait examiner d’une part le coût du chômage de longue durée, et le coût  de la remise à l’emploi, via différents mécanismes d’insertion afin d’alimenter la réflexion sur les subsides possibles aux entreprises à but d’emploi, et d’autre part, le besoin de financement des entreprises à but d’emploi (EBE) en phase de lancement et de croisière. Cette étude, menée par le centre d’économie appliquée de Solvay et de l’ULB (le BELBEA) est aujourd’hui finalisée. Elle donne une évaluation des montants annuels de la subvention nécessaire au financement de l’expérimentation, selon quatre scénarii comprenant la création de deux micro-territoires TZCLD et de 2 Entreprises à But d’Emploi Bruxelloises. Sans trop rentrer dans les détails, j’ai épinglé quelques chiffres marquants. Selon les estimations de l’étude, le coût moyen net de la remise à l’emploi d’un.e travailleur.euse bruxellois.e via l’expérimentation « zéro chômeur » varierait entre environ 36 et 38.000€ par an, alors que le coût annuel moyen du non-emploi pour les pouvoirs publics est estimé entre environ 27 et 40.000€ en fonction du statut du.de la travailleur.euse sans emploi (ONEM, CPAS ou ne touchant aucune intervention publique). En moyenne, pour l’ensemble des scénarii, le coût moyen net pour les pouvoirs publics engendré par la remise à l’emploi d’un.e travailleur.euse bruxellois.e dans le cadre d’une expérimentation bruxelloise ‘TZCLD’ serait donc moindre que le coût annuel moyen qui seraient supportés par les pouvoirs publics si ce.tte travailleur.euse était laissé.e en inactivité. En d’autres termes, les TZCLD rapporteraient plus qu’ils ne coûteraient, un argument d’efficacité économique qui plaide en faveur du déploiement du dispositif TZCLD!  Je sais bien sûr que les montants ne sortent et ne rentrent pas dans les mêmes caisses étatiques, mais on parle ici d’une expérimentation sur quelques centaines de personnes, donc d’un budget limité, qui doit nourrir la politique régionale de lutte contre le chômage de longue durée. De plus, il n’est pas impensable d’imaginer un accord avec le fédéral en cas d’extension de la mesure comme en France, après l’expérimentation…

Avec ces deux études, les principales balises nécessaires au lancement de l’implémentation du projet pilote de TZCLD en Région Bruxelloises sont donc posées. Les chiffres de l’étude DULBEA devraient permettre la budgétisation d’une première expérimentation à Bruxelles. La région a maintenant les cartes en main pour avancer dans la réalisation concrète de ce projet!

Le Covid renforce la nécessité de cet outil.

Les effets sur l’emploi de la crise socio-économique découlant de la pandémie de covid-19 se font déjà sentir. Sur le marché du travail, l’arrivée d’une vague de travailleur.euse.s ayant perdu leurs emplois suite à la crise va nécessairement exacerber la concurrence entre les chômeur.euse.s de longue durée et les chômeur.euse.s nouvellement licencié.e.s, qui sont proches de l’emploi et disposent de CVs plus complets. Pour les chômeur.euse.s de longue durée, très éloigné.e.s de l’emploi, il sera encore plus compliqué de retrouver un travail. Nous l’évoquions lors de l’une des dernières commissions d’avant l’été, l’un des enjeux des réponses qu’apportera la région pour soutenir l’emploi suite à la crise du covid-19 sera aussi de ne pas oublier les bruxellois et bruxelloises qui souffraient déjà d’une situation de non-emploi avant la pandémie. Des solutions devront également cibler ce public. La création, sans attendre, de Territoires Zéro Chômeurs de Longue Durée à Bruxelles sera une action importante allant dans le sens. Il serait une erreur de le reporter sine die en ne se focalisant que sur l’urgence s’attaquer qu’aux nouveaux.elles chômeur.euse.s.

La crise va immanquablement augmenter le nombre de personnes qui perdent l’accès et la confiance en les institutions. La Fédération des services sociaux alerte depuis des mois sur le problème des « désaffiliés institutionnels », ces personnes qui ont trop souvent essayer en vain d’obtenir les droits auxquels il.elle.s sont éligibles et ne bénéficient au final d’aucun revenu. C’est pour cette raison qu’ATD Quart-Monde insiste sur un des aspects novateurs du projet : l’exhaustivité du recrutement sur un territoire qui doit être ouvert à toutes les ‘personnes privées durablement d’emploi’ (selon une définition à préciser quand elles ne sont pas inscrites auprès d’Actiris). C’est un aspect important du projet qui doit être conservé et mis en avant.

Par ailleurs, la crise sanitaire et les mesures de confinement prises pour y faire face ont remis en lumière l’importance de relocaliser le travail. Elles ont aussi engendré une forte prise de conscience sur la nécessité de redéfinir démocratiquement les activités qui sont socialement utiles, qui répondent directement aux besoins des citoyen.ne.s et dont le développement mérite d’être soutenu par la collectivité.

Il est bien compréhensible que le projet de TZCLD n’ai pas fait partie des mesures prises dans la première partie du plan de relance adopté en juillet et qui concernait principalement des mesures d’urgence. Il me semble maintenant important qu’il fasse partie du second train de mesures. En effet le projet de TZCLD s’inscrirait pleinement dans la stratégie du gouvernement en matière de transition économique et environnementale. Il est porteur d’innovation dans le secteur de l’économie sociale. Dans les « Territoires Zéro Chômeur de Longue Durée », ce sont les acteur.trice.s de la localités et les demandeur.euse.s d’emploi eux.elles-mêmes qui font vivre et animent prioritairement le projet. Le comité local, installé pour construire et piloter l’expérimentation, est un outil puissant d’insertion collective: l’expérimentation s’inscrit dans une logique de résilience d’un territoire et de participation citoyenne, plus que dans le contrôle et l’accompagnement individuel des chômeur.euse.s. Dans ce dispositif, le service public d’emploi, Actiris, viendrait en soutien aux acteurs du projet et se mettrait ainsi dans une autre position, un position de soutien à des projets locaux, plutôt que de gestion d’un ‘dispositif’ supplémentaire, ce qui nous semble intéressant.  Créer des TZCLD, c’est soutenir le développement d’une économie solidaire et territorialisée.

Pour toutes ces raisons, il est l’heure de s’activer à la réalisation de ce projet!

Dès lors mes questions sont les suivantes:

  • Dans vos réponses à l’interpellation de Mme Tahar, vous disiez votre volonté de prévoir un financement régional pluriannuel dès le budget 2021 ou 2022, de manière à pouvoir mettre en œuvre le projet et fournir une première évaluation de celui-ci à la fin de la législature. Confirmez-vous aujourd’hui que le financement d’une ou plusieurs expériences TZCLD est bien à votre agenda pour l’année 2021?
  • Le projet TZCLD fait-il partie des mesures de soutien à l’emploi discutée dans le cadre du deuxième volet du plan de relance bruxellois?
  • Un calendrier a-t-il été établi pour sa réalisation?
  • Vous répondiez également à Mme Tahar que vous aviez chargé Actiris de conceptualiser un projet TZCLD adapté aux réalités bruxelloises. Où en est ce travail? Pouvez-vous aujourd’hui nous donner plus de détails sur la forme concrète que prendra le projet?
  • Quels obstacles freinent encore une mise en oeuvre rapide de ce projet? Comment allez-vous les lever?
  • Comment l’étude budgétaire réalisée par DULBEA est-elle utilisée pour la budgétisation du projet?
  • Comptez-vous rendre les études juridique et budgétaire publiques?

D’avance je vous remercie pour vos réponses,

Barbara de Radiguès